^{Par Florence Alibert}

Avec cette séance du 27 janvier 2023, le séminaire Alma poursuit son exploration du thème « des vies d’archivistes et de bibliothécaires », en étudiant spécifiquement certaines grandes figures du métier de bibliothécaire.

Isabelle Antonutti, conservatrice honoraire des bibliothèques, membre du laboratoire du centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, uvsq, expose en introduction les éléments lui ayant donné l’idée du dictionnaire des Figures de bibliothécaires.

Sa première remarque concerne le métier lui-même, qu’elle qualifie de « discret », mais qui voit émerger des personnalités singulières, engagées, souvent méconnues et mésestimées. Isabelle Antonutti découvrit, lors de sa veille professionnelle, qu’un jardin d’Orléans était baptisé du nom d’Hélène Cadou, poétesse et bibliothécaire. Cette destinée l’invita à raconter plus largement l’histoire d’un métier au travers des personnalités de ses acteurs, pour venir combler un angle mort de la bibliographie professionnelle. Le projet initial était de créer une base de données, disponible en ligne mais un livre papier fut finalement préféré et parut aux Presses de l’ENSSIB en 2020, œuvre collective regroupant 60 auteur.e.s de notices, pour 100 biographies.

Le choix des vies de bibliothécaires repose sur une part de subjectivité, même si l’on a pris garde d’équilibrer le plus possible les questions géographie, de type d’établissements et de genre. La période étudiée va de 1850 à 1930 et aucune exhaustivité n’est visée. Certains critères croisés ont permis de se mettre d’accord sur une liste de 100 noms : avoir consacré l’essentiel de sa vie aux fonctions de bibliothécaire, posséder à son actif des réalisations marquantes ainsi que des publications. Les notices du dictionnaire ont chacune 5000 signes et se présentent matériellement d’une façon standardisée. Un chapeau donne le nom, les dates de naissance et de mort – aucun professionnel vivant ne peut entrer dans le dictionnaire, sorte de panthéonisation laissée aux « grands anciens » – ainsi qu’un bref aperçu de la carrière. Une photographie a été insérée lorsque cela a été possible. Le contenu de chaque notice comprend un pourcentage approximatif dédié aux différents pans de l’activité du professionnel décrit : 20% pour les éléments personnels, 30% pour les éventuelles activités hors bibliothèques et 50% pour le métier. L’écriture des textes repose sur des données objectivées comme les archives administratives, le dossier de carrière, les faire-part de décès, les documents liés à la Légion d’honneur, les nécrologies, ainsi que certaines sources complémentaires plus intimes fournies par la famille, les amis ou les collègues.

De l’ensemble de cette monographie, Isabelle Antonutti tire des enseignements sur l’expression conjuguée des caractéristiques du métier et des destinées personnelles des bibliothécaires. En quatre axes, elle dégage les traits professionnels, amicaux, familiaux, fondant tour à tour des trajectoires solitaires ou ataviques :

• 1/ classer et cataloguer, cœur du métier de bibliothécaire, pour lequel sont cités, entre autres, les noms et les réalisations de Léopold Delisle, surnommé « le vieux lion », conservateur au département des manuscrits de la BnF, resté fameux dans la mémoire de la profession pour en avoir défini le caractère technique.
• 2/ bâtir, rénover, aménager, la question des espaces, avec l’évocation d’Yvonne Oddon, créatrice de la bibliothèque du musée de l’Homme, fondatrice de l’un des premiers réseaux de Résistance et déportée à Ravensbrück.
• 3/ former. La personnalité tutélaire d’Eugène Morel est bien sûr convoquée, avec sa conception visionnaire du métier qui sera mise en œuvre via le CARD dès 1921.
• 4/ Isabelle Antonutti soulève un dernier point, celui de la « révélation des identités », où elle aborde la polyactivité des bibliothécaires engagés dans la sphère politique, scientifique, des arts et lettres.

Les relations interpersonnelles et familiales sont plus précisemment évaluées au prisme du métier, comme les rapports père/fils/filles, couple, oncle/nièce/neveu. Des dynasties de familles de bibliothécaires sont examinées, comme les Mondain-Monval où père, fils et fille sont bibliothécaires et ont valorisé les collections de la Comédie-Française et de l’Arsenal.

Isabelle Antonutti en conclut qu’avec le métier de bibliothécaire, on ne transmet pas un patrimoine, pas de considération sociale, pas un métier en vogue mais un système de valeurs reposant sur la culture et le service au public. Pour la suite de ses recherches, Isabelle Antonutti suggère l’élaboration d’une base en ligne aux entrées plus larges, permettant l’établissement d’autres critères pour continuer à nourrir ce dictionnaire des Figures de bibliothécaires sous une autre forme et évoque une collaboration à construire en ce sens, entre elle, l’ABF et le Master Sciences de l’information et des bibliothèques de l’université d’Angers.

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