Les archives comme objets : matérialité, temporalité et affectivité par Annaëlle Winand

Par Héloïse Renaud et Audrey Joncquemat

Annaëlle Winand est chercheuse postdoctorale auprès du département des sciences historiques de l’Université Laval (Québec) et chargée de cours dans cette même université. Elle détient un doctorat en sciences de l’information obtenu auprès de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (université de Montréal). Elle est par ailleurs diplômée d’une maîtrise en histoire et archivistique de l’université de Louvain (Belgique) où elle a également travaillé en tant qu’archiviste. Ses recherches se concentrent sur les notions d’archive(s), d’inarchivable et d’impensé archivistique dans les pratiques filmiques et vidéographiques expérimentales de réemploi et dans le domaine des archives de communauté. Elle est activement impliquée dans divers projets de recherche dont « Autres archives, autres histoires : Les archives d’en bas au Québec et France » (Université Laval, Québec et Université d’Angers, France).

Son intervention, lors de la XXIe Journée d’archivistique d’Angers le 10 février 2023, explore le rapport à la destruction, l’altération comme impensé archivistique, rendu visible par l’exploitation artistique. Elle le fait à travers un objet particulier : le film.

Pour A. Winand, la matérialité passe par l’esthétique de la ruine. Elle appuie ses arguments par la présentation d’images de films et présente un cinéma de réemploi de cette esthétique comme allégorie de la disparition du cinéma. Pour cela, elle montre ce qu’on ne veut pas voir dans les archives, un interdit, celui de la dégradation et de la possible perte de traces. La matérialité est mise en avant, elle révèle le corps du support. Ainsi, dans Decasia (Bill Morrison, 2002), la pellicule se décompose progressivement. Les films nous rappellent que les archives sont des objets physiques, marqués par un processus de sédimentation visible. La matérialité est plus importante pour ce support d’archives que l’archive elle-même. Un document abîmé montre la matérialité de l’objet, son authenticité, sa réalité, le passage du temps, en somme, il crée un lien émotionnel avec le passé.

Sa présentation prouve l’existence d’une opposition entre les missions de préservation, de conservation de l’archiviste et l’incontestable destruction programmée dans le temps des bandes filmiques. Objets complexes, ils sont identifiés comme des “objets en processus” comprenant plusieurs lectures : la conservation dans le temps, l’appréhension des trajectoires de changement d’état et la fugacité matérielle.

Parmi les questions du public, nous avons pu distinguer des liens faits avec le travail de l’artiste Christian Boltanski et la matérialité des objets, et du chercheur Pascal Landry sur la fugacité des spectacles vivants, car ce sujet ouvre un espace de réflexion sur ces traces qui n’ont pas de matérialité à l’image des spectacles ou des performances. Annaëlle Winand nous questionne également sur la place de l’oubli et « le droit au laisser-aller » en archivistique qui autorisent par son autorité la destruction. Est-ce trahir si l’archiviste fige ou est-ce trahir s’il détruit ?

Retrouvez l’intervention en vidéo


Visionnez les films de réemploi cités par Annaëlle Winand


Decasia (Bill Morrison, 2002) The Shadow of Your Smile (Alexei Dmitriev, 2015) Self-Portrait Post-Mortem (Louise Bourque, 2002) Long Live the New Flesh (Nicolas Provost, 2009)


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ALMA (2 janvier 2025). Les archives comme objets : matérialité, temporalité et affectivité par Annaëlle Winand. ALMA. Consulté le 9 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1303q


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