Depuis 2014, l’Ukraine subit l’occupation d’une partie de son territoire, et la guerre s’est intensifiée avec l’offensive russe du 24 février 2022 à partir de laquelle le pays entier vit sous les bombardements. Au milieu de ce conflit meurtrier, se retrouve un patrimoine ukrainien progressivement dévasté et saccagé par l’armée russe. L’invasion rapide et les bombardements constants freinent la protection de ce patrimoine ou, dans le cas des archives par exemple, leur évacuation. Cette volonté de détruire et de faire disparaître l’autre ravive l’intérêt pour les archives, gardiennes de l’histoire et de la mémoire, témoignage de la diversité des territoires et des populations. À l’aide de plans d’urgence et grâce à la solidarité, les institutions historiques, archivistiques et muséales du pays se mobilisent avec de nombreux bénévoles afin de conserver les archives d’un pays occupé et en guerre.
Sous la houlette du Service national des Archives, organe central chargé de la coordination de la politique archivistique du pays qui comprend 2284 institutions de conservation d’après son site Internet, les archivistes font appel à des procédures d’urgence comme l’expliquent Maryna Paliienko et Taras Shevchenko de l’Université nationale de Kiev dans l’article « Ukrainian Archives in a Time of War » rédigé pour la revue Archival Outlook. Cela suppose de sécuriser les archives les plus précieuses mais aussi parfois de détruire des documents contenant des informations secrètes.
Dans un article du 15 mars 2022 publié par le quotidien britannique The Guardian, Anna Reid relayait déjà la crainte d’un « archivocide » formulée par l’historienne Daria Mattingly, c’est-à-dire, une destruction volontaire par les troupes russes de toutes les archives qui ne correspondent pas au discours officiel russe. Le patrimoine archivistique ukrainien a déjà subi des dommages conséquents. Le directeur du Service national des Archives estimait que le pays avait perdu 1,5% de ses archives historiques. Par exemple à Tchernihiv, à 150 kilomètres au nord de la capitale ukrainienne, le bâtiment de la bibliothèque municipale qui conservait des archives du KGB a été partiellement détruit. L’article mentionne aussi de nombreuses pertes pour les archives des collectivités locales et des entreprises dans les régions de Louhansk, Donetsk et Zaporijjia où le conflit se fige. Ces pertes sont d’autant plus dommageables que l’accès aux archives russes est désormais réservé à quelques chercheurs autorisés et que le fonds ukrainien permet aux historiens d’étudier non seulement l’histoire du pays mais aussi celle de l’ancien bloc soviétique.
Le combat ne s’arrête pas à la question des archives physiques. Il concerne aussi la conservation des sites Internet. En mars 2022, 1 300 bibliothécaires, historiens, enseignants internationaux ont créé le projet SUCHO (Saving Ukrainian Cultural Heritage Online) pour sauvegarder les archives du web ukrainiennes sur des serveurs étrangers, en se focalisant sur les sites internet des établissements culturels. Tous les sites identifiés par les bénévoles sont archivés avec la suite logicielle Webrecorder qui permet de conserver chaque couche d’un site jusqu’aux documents intégrés sur les pages, contrairement à la wayback machine. Un mois après le début du projet, 25 To de données ont pu être sauvegardés.
Site Internet de l’initiative SUCHO – Saving Ukrainian Cultural Heritage Online
Avec la même volonté de collaboration, des acteurs internationaux, parmi lesquels des services d’archives français, se mobilisent pour la préservation des archives en envoyant du matériel comme des boîtes, des ordinateurs portables mais aussi des financements. D’après Maryna et Taras Shevchenko de l’université de Kiev, vingt-deux services d’archives ukrainiens ont ainsi pu numériser des archives généalogiques grâce à ces financements. Cette politique d’aide active de la part d’acteurs internationaux vient en appui de l’engagement des archivistes ukrainiens à protéger leur patrimoine et préserver la mémoire collective, en collectant des documents, en créant de nouveaux fonds pour prouver les violences perçues à travers le pays et en restant ouverts au public, par contraste avec les archives russes. Le réseau des archivistes ukrainiens reste actif. En témoigne également la publication trimestrielle de la revue Archives d’Ukraine publiée depuis 1947 et qui rend compte de l’activité archivistique du pays.
Le conflit montre que les archivistes défendent leur pays en protégeant les traces de son histoire et de son patrimoine. Les événements suscitent de nouveaux besoins et la formation continue de ces professionnels de la conservation pour s’adapter à ces situations d’urgence.
Clémentine Lauzier et Hortense Theulier, étudiantes en master 2 Archives à l’université d’Angers, 16 février 2025
Bibliographie
Paliienko Mayna, Shevchenko Taras, « Preserving Memory and Cultural Heritage: Ukrainian Archives in a Time of War », Archival Outlook, [en ligne], vol. July/August 2024, 2024, [consulté le 15 janvier 2025], p. 12-13/20. Disponible sur : https://mydigitalpublication.com/publication/?i=827411
Reid Anna, « Ukrainian heritage is under threat – and so is the truth about Soviet-era Russia », The Guardian, [en ligne], 15 mars 2022, [consulté le 15 janvier 2025]. Disponible sur: https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/mar/15/ukrainian-heritage-under-threat-truth-soviet-era-russia.
Verma Pranshu, « Meet the 1,300 librarians racing to back up Ukraine’s digital archives », Washington Post, [en ligne], 8 avril 2022, [consulté le 15 janvier 2025]. Disponible sur : https://www.washingtonpost.com/technology/2022/04/08/ukraine-digital-history/.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Alma (29 juillet 2025). Les archives dans la guerre en Ukraine. ALMA. Consulté le 8 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14g1s
